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Précieuses boites russes (II)

Précieuses boites russes (II)

Publié le 25/09/2011, dans Patrimoine | par P.S.
Précieuses boites russes (II)
La manufacture Loukoutine "investit le marché". Nous sommes donc, à présent, dans le second quart du XIXe siècle. Toujours dans le village de Fedoskino où Piotr Vassilievitch Loukoutine a entrepris de développer la fabrique de miniatures sur laque héritée de son beau-père, P. I. Korobov. Nous avons vu, la semaine dernière, la nouvelle direction qu'il souhaite impulser à l'entreprise familiale. Les laques à décors imprimés passent au second plan et il mise sur la maestria des artistes-peintres russes pour un nouvel essor de ses productions. En premier lieu, il diversifie les formes des objets qu'il propose à la vente. Ses tabatières seront rondes, ovales, rectangulaires, carrées, hautes ou basses... Il abolit toutes les règles établies, se lançant aussi dans la production d'une foule d'écrins et d'étuis, de tous gabarits et pour tous usages, trouvant leur utilisation dans la vie quotidienne. Ils orneront le bureau ou la table de toilette et seront des présents forts appréciés : des porte-cigarettes, boîte et coffrets à allumettes, porte-monnaie, boîtes à thé, coffrets pour les ouvrages de dames ou pour le rangement des petits effets, des gants, etc. La manufacture étend encore sa gamme en s'essayant à la fabrication d'écritoires, d'assiettes décoratives, bientôt de couvertures d'albums-photos, jusqu'à des services de petits verres gigognes et leurs flacons pour le voyage... La "patte" des Loukoutine. Dès 1818, nombreuses sont les pièces signées du prestigieux sigle de la maison : les initiales de Piotr Vassilievitch, bientôt rejointes par celles, laquées d'or, "F. A. L.", désignant son fils Alexandre (Pour Fabrique Alexandre Loukoutine). Marque insigne de l'estime que le tsar Nicolas 1er ressent pour cet artisanat, ce-dernier autorise, en 1928, les Loukoutine à estampiller leurs produits avec les armes de l'Empire de Russie. A cet instant, leurs laques sont d'ores et déjà prisées dans toutes les cours d'Europe, même si l'essentiel de la production est encore vendu en Russie. Pourtant, bien des sujets sont inspirés de l'art occidental tout en ayant soin de l'adapter au goût russe qui devient en quelque sorte une "marque de fabrique" inimitable : copies de toiles connues (on voit des églises orthodoxes ajoutées à des paysages pouvant tout a fait se trouver en Ile-de-France ou en Bavière), scènes mythologiques, historiques ou de genre, natures mortes et aussi beaucoup de portraits. La manufacture marche à deux vitesses, les décors venant d'être cités étant principalement réservés aux classes les plus riches de la société d'alors. Ils sont très onéreux à l'achat car nécessitant un nombre important d'heures de travail et devant être effectués par les peintres les plus confirmés. D'autres objets, fabriqués pour les classes moyennes sont plus simplement exécutés. Ils représentent des scènes de vie urbaine, rurale, voire ethnographiques typiques... Troïka et scènes de thé. Egalement thème des plus courants - incarnation traditionnelle de la grandeur et de la force du caractère russe - celui des troïkas filant au travers d'immenses paysages, dans lequel on peut se plaire à imaginer une illustration des merveilleuses lignes de Gogol dans les Ames mortes, "Ah ! Troïka, oiseau troïka, qui donc t'a inventée ? Seul un peuple vigoureux a pu te concevoir... Ah ! Chevaux, chevaux ! Quel tourbillon y a-t-il dans vos crinières ! Dans l'air un bruit familier se fait entendre. Les poitrines d'airain se sont tendues à l'unisson et effleurant à peine la terre de leurs sabots se sont fondues en une ligne qui traverse l'air, et comme inspirée par Dieu la troïka file au grand galop" Parmi les plus prisés par des collectionneurs ! L'autre type de décors que l'on croise le plus souvent est celui, non moins vénéré, du cérémonial du partage du thé. En effet, cette boisson apparue au XVIIe siècle en Russie, en est tout autant le symbole que la troïka. "Un moment de repos pris en commun après une longue et pénible route, après un travail épuisant ; une rencontre avec des parents, des amis, des compagnons de voyage. Il y a quelque chose de solennel dans l'acte de boire le thé, tout spécialement si un grand samovar de cuivre ou d'argent, propre et brillant, ‘‘chantant'', décore la table"... Chez les Loukoutine, un groupe de peintres suit un enseignement dans ces deux spécialités. Ceux qui en bénéficient peindront, leur vie durant, exclusivement des troïkas ou des scènes de thé, ce qui explique le véritable degré de perfection de leur exécution. La concurrence de la manufacture Vichniakov. Pratiquement dès l'origine, les Loukoutine sont amenés à partager leur succès commercial avec d'autres manufactures s'installant généralement toutes, elles aussi, autour de Moscou. Seule la principale, celle de la famille Vichniakov, arrivera à un niveau de renommée similaire. Il y travaille des paysans-serfs ayant racheté leur liberté grâce à cette activité artistique considérée comme "noble". Le premier atelier des Vichniakov est établi à Jostovo (bourgade aussi connue, depuis le milieu du XIXe, pour la production des célèbres plateaux russes en métal peint), en 1807. Le village est situé à quelques kilomètres de Fedoskino, aussi, cette proximité motivera une vraie émulation entre les deux familles, jusqu'à la Révolution d'octobre 1917. Il y aura peu de différences stylistiques entre les deux fabriques. Simplement, en règle générale, la miniature des Loukoutine recèle une composition plus complexe, des coloris plus recherchés et rigoureux, sauf peut-être vers le milieu du XIXe, quand une production plus populaire fut réalisée d'une façon plus simplifiée. Pour les spécialistes russes, les travaux réalisés par les Loukoutine sont les plus remarquables de tous, d'une plastique particulièrement recherchée, les miniatures les ornant étant en parfait accord avec la forme des objets. La naissance d'une nouvelle imagerie russe. Chez les Vichniakov, les pièces sont estimées plus grossières quoique présentant un charme bien particulier. On y voit de petits tableaux, plus centrés sur les scènes paysannes. Tout comme dans les productions les plus modestes de chez Loukoutine, les détails de l'arrière-plan disparaitront peu à peu. Bien souvent, les aménagements des intérieurs, les maisons, les haies, la petite borne kilométrique en bordure de route, s'éclipsent... Les plis des vêtements et l'attitude de ceux qui les portent sont amenés à être de plus en plus stylisés. Nait ainsi un nouvel archétype de la représentation des Russes et de leur pays. Les personnages ressortent, tels les symboles d'une patrie sur les fonds noirs ou rouges des laques... Une technique précise et minutieuse. Mais avant d'aller plus loin dans notre histoire des laques russes, revenons, un instant si vous voulez, sur l'extrême complexité de leur fabrication. La miniature est une chose, mais leur support est tout autant minutieux à mettre en forme. Les boîtes sont constituées d'étroites bandes de carton découpées au patron, puis collées les unes aux autres avec une pâte d'amidon. Cette "ébauche", ensuite mise en forme sur un moule, puis fortement pressée, est alors imprégnée d'huile de lin chaude et dirigée vers des claies de séchage. Ces opérations achevées, l'atelier de menuiserie rectifie les défauts de forme et se charge d'assembler le fond et le couvercle. La boîte peut alors être enduite d'un apprêt spécial qui égalise les aspérités après plusieurs applications et polissages. Maintenant, après une nouvelle opération de séchage, la boîte reçoit plusieurs couches de laque successives. Un dernier séchage est mis en œuvre dans un four brûlant à une température de cent degrés. L'objet peut enfin passé, après une dernière inspection du résultat devant être irréprochable, chez les peintres. Là aussi bien des contraintes techniques entrent en ligne de compte. Tant chez les Loukoutine que chez les Vichniakov, on emploi de la peinture à l'huile, ce qui oblige un savoir-faire expert dans le choix des tons qui changent de façon notable pendant les phases de séchage à haute température. Une fois l'objet finit, il est oint de trois à quatre couches protectrices de laque incolore. Là encore, le temps perd son cours, il faut attendre que la couche précédente sèche entièrement avant de renouveler l'opération. La boîte finie, reste à en polir longuement la surface. Au toucher, ces coffrets raffinés ont une douceur à nulle autre pareille. Une caresse exaltant cette association d'une peinture lumineuse, rayonnante, sur ces supports aux laques profondes... A suivre... Photo P 94 a ... Tabatière "Portrait d'un inconnu". Gravure laquée. Tout début du XIXe, manufacture Korobov. Musée de l'Ecole de la miniature laquée, Fedoskino. Photo P 94 b ... Etui à cigarette. Manufacture Loukoutine 1841-1863. Coutau-Bégarie, 1 800 €, nov. 2007. Photo P 94 c ... Tabatière à décor de troïka. 1855-1863 Manufacture Loukoutine. Coutau-Bégarie, estimation 1 200 / 1 500 €. Photo P 94 d ... Boîte à thé. Manufacture Loukoutine. Période Alexandre III (1881-1894). Coutau-Bégarie, 300 €, nov. 2010. Photo P 94 e - Boîte à thé. Manufacture Vichniakov. Période Alexandre III. Coutau-Bégarie, estimation 2 / 300 €. Photo P 94 f ... Porte-cigare "Le Courrier" ayant appartenu à l'écrivain Ivan Tourgueniev. Manufacture Piotr Loukoutine 1825-1828. Musée de l'Institut des Lettres russes, Moscou.
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